Une petite histoire de la vaccination

Par Contribution anonyme

Les débuts de la pandémie de COVID-19 ont été la source d’une vague d’expression de solidarité mondiale, alors que les populations du monde entier se confinaient afin d’enrayer le plus vite possible l’apparition de cette nouvelle menace.

Hélas, cette tendance n’a pas persisté, contrairement au virus. Bien qu’énormément de personnes ont fait des efforts surhumains pour venir en aide à leurs prochain·e·s, cette tendance ne s’est pas matérialisée en actions concrètes significatives, essentiellement parce que les moyens matériels en question ne sont pas contrôlés par la population.

On ne peut pas le nier, la lecture marxiste des multiples privatisations des dernières décennies s’avère être juste. Les moyens de production du vaccin appartiennent dorénavant à une poignée d’individus prêt·e·s à en retirer le maximum de profits. Et certaines de ces compagnies privées, après s’être présentées comme des héros du bien commun en promettant un vaccin gratuit (Safi, 2021), le vendent maintenant aux plus offrants (Hancock, 2020).

Certes, la recherche et la production de vaccins et autres médicaments ne sont pas gratuites. Cette recherche et cette production requièrent une grande quantité de ressources. En ce sens, comment peut-on organiser cette recherche et cette production afin que les vaccins et les médicaments soient gratuits ? Comment peut-on s’assurer qu’ils soient accessibles à toutes les personnes qui en auraient besoin à travers le monde plutôt que seulement dans les pays riches du Nord ? Comment peut-on s’assurer que les décisions soient prises par les populations affectées, plutôt que par des corporations multinationales ?

Avant de répondre à ces interrogations, il faut revenir à l’origine même de la vaccination, et de la médecine.

Histoire du premier vaccin

Le premier vaccin officiellement reconnu est celui contre la variole (smallpox), prédatant de quelques décennies les travaux de Louis Pasteur. Dès le XVIe siècle, plusieurs communautés, surtout en Asie et dans le Monde arabe, pratiquaient une approche de protovaccination contre la variole appelée « variolisation » (Variolation, 2021). Cette approche consistait à exposer des enfants sains à des pustules séchées de personnes ayant contracté une forme bénigne de la maladie. Cette approche informelle, quoiqu’imparfaite, permettait d’assurer une certaine immunisation de la population et prévenait les grandes épidémies.

Cette approche s’est répandue en Europe et dans les Amériques au XVIIIe siècle. Initialement, cette approche était plutôt informelle, chaque médecin fonctionnant à sa propre manière. La recherche d’une manière plus systématique a mené à la production des premiers vaccins au tournant du XIXe siècle. Le vaccin d’Edward Jenner, utilisant une variante de la variole affectant les bovins (Edward Jenner, 2021) et beaucoup moins nocive pour les êtres humains, démontra son efficacité et finit par convaincre le gouvernement britannique d’abandonner la variolation pour la vaccination.

Pendant plusieurs décennies, de multiples souches de vaccins de la variole voyageaient gratuitement à travers le monde, selon les initiatives des médecins locaux qui amenaient quelques fioles dans leurs bagages, ou faisaient traverser l’Atlantique à une vache ou à un patient guéri. Ce premier vaccin s’est alors répandu informellement à travers le monde. La première campagne de vaccination a donc été internationaliste avant l’heure.

Cependant, cette première campagne restait très informelle et les pratiques efficaces restaient à développer. Certains vaccins échouaient à prévenir la maladie ou certaines régions n’étaient pas vaccinées, ce qui provoquait de nouvelles éclosions. Bref, l’immunisation collective contre la variole était loin d’être gagnée.

Au début du XXe siècle, la vaccination contre la variole est devenue une affaire d’État, selon ses besoins stratégiques grandissants pour l’industrie et la guerre (The Birth of Biopolitics, 2021). Des pratiques formelles de production et d’inoculation1 furent alors développées, jusqu’à ce qu’on obtienne une production commerciale surveillée par l’État et des approches d’inoculation contrôlées.

De la difficulté de produire de bons vaccins

Il n’est pas facile de produire un vaccin unique pour des milliards de personnes. En effet, chaque personne possède une histoire médicale un bagage génétique et un milieu de vie différent. Par exemple, le premier vaccin contre la variole était efficace pour la moyenne des personnes en bonne santé, mais pouvait avoir des effets néfastes sur des personnes plus vulnérables.

Après les premières expériences du vaccin contre la variole, des vaccins plus sécuritaires pour la population ont pu être développés, en particulier pour les personnes ayant un système immunitaire plus vulnérable. Les vaccins contre la COVID-19 en sont un exemple. Ces vaccins plus évolués trompent le système immunitaire et l’incitent à produire des anticorps même si la maladie n’est pas présente plutôt que de se baser sur une maladie affaiblie. Lorsque la maladie se présente ensuite, le système immunitaire est prévenu et prêt à réagir.

Des vaccins modernes contre la variole ont donc été développés récemment même si la variole est officiellement éradiquée, advenant une épidémie imprévue. Ces vaccins plus évolués sont efficaces pour une plus large gamme de la population. Une personne ayant un système immunitaire affaibli pourrait recevoir ce vaccin sans effets secondaires significatifs.

Cependant, le développement de ces vaccins modernes ne se fait pas sans coûts : chaque projet de recherche représente une somme de travail colossale, que ce soit par les chercheur·e·s elleux-mêmes que pour la production du matériel nécessaire pour leur recherche.

À titre d’exemple, le vaccin annuel contre la grippe contient les quatre variantes susceptibles d’affecter une région donnée(Historical annual reformulations of the influenza vaccine, 2021). Qui plus est, ces quatre variantes changent d’une année à l’autre; il y aura donc toujours besoin de financer la recherche pour ces vaccins tant que la grippe persistera.

La médecine a suivi essentiellement le même chemin. La médecine, de l’antiquité à la Renaissance, était une art abondamment publié. Tout le monde pouvait tomber malade, tout le monde pouvait avoir besoin d’un médecin, et les grands médecins ont travaillé très fort pour publier leurs découvertes. Que serait la médecine moderne sans les livres publiés au Moyen-âge dans les mondes perses et arabes ? Sans être accessibles à tout le monde, ces découvertes n’étaient pas gardées secrètes.

Sur le financement de la recherche en santé

Il y a un besoin de fournir un financement constant et régulier pour la recherche en santé, notamment pour la production de vaccins. À l’échelle mondiale, la recherche est à moitié financée par le public, l’autre moitié étant financée par le privé (Medical research, 2021).

Le financement privé possède cependant des lacunes. Les entreprises qui investissent des milliards dans un médicament cherchent à le distribuer, peu importe les conséquences que celui-ci pourrait avoir. Le scandale de la Thalidomide en est un exemple (Thalidomide scandal, 2021). Ce médicament a été publicisé comme permettant de faciliter le sommeil des femmes enceintes, sans jamais avoir été testé sur des femmes enceintes, résultants en des milliers de déformations majeures chez les enfants. Sans compter que les considérations éthiques sont souvent abandonnées quand il s’agit de tester un médicament. Les populations des pays moins privilégiés peuvent en témoigner (Pfeiffer, 2020).

En plus de distribuer des médicaments potentiellement dangereux, ces entreprises investissent énormément dans la publicité l’endroit des médecins (Jutel, 2014), ce qui peut les mener à prescrire des médicaments de marque pour lesquels il existe des alternatives génériques (Vega, 2012). Au Québec, pour certaines maladies spécifiques, « seulement 36,9 % des ordonnances initiales respectaient les critères de remboursement de la RAMQ » (Institut national d’excellence en santé et services sociaux, 2017). Les entreprises pharmaceutiques ont ainsi accaparé depuis longtemps une bonne part des budgets en santé et service sociaux.

Le financement par l’État n’est pas sans faille non plus. L’État doit balancer ses priorités et a tendance à couper dans certains domaines où les effets ne se feront pas sentir immédiatement afin d’assurer le support des ami·e·s du parti ainsi que celui des électeurs et des électrices. Par exemple, l’État peut couper dans la recherche en santé afin d’acheter un nouveau pont pour satisfaire des intérêts électoraux immédiats. Ces coupures en recherche ne se font pas sentir avant plusieurs années, et ce sont les administrations suivantes qui devront réparer les pots cassés. Et l’État impérialiste peut aussi financer des recherches douteuses chez des populations considérées comme « indésirables » par l’Empire (Doucleff, 2019).

De la recherche à la production

Une fois qu’un vaccin ou un médicament a prouvé son efficacité, il reste à le produire, à le fabriquer. Au soi-disant Canada toute la capacité de production a été privatisée avec les multiples vagues de privatisation commençant avec les années ‘80s. Le résultat a été des milliards de dollars de profits pour quelques gestionnaires, aux dépens de la population qui a payé pour le développement de ces organisations.

Le gouvernement conservateur de Brian Mulroney a vendu les Connaught Laboratories basés à Toronto à ce qui allait devenir l’entreprise française Sanofi Pasteur en 1989 pour une bouchée de pain2. Sanofi est une entreprise connue pour son éthique douteuse, notamment pour avoir testé des médicaments dangereux sur des enfants de pays moins développés avant de vendre leur version corrigée aux pays riches (Medical experimentation in Africa, 2021).

Au Québec, la section de l’Institut Armand-Frappier3 spécialisée dans la production de médicaments et de vaccins a été vendue à ce qui est devenu GlaxoSmithKline, également pour une bouchée de pain (Lauzon, 2016). Cette entreprise est aussi problématique que Sanofi, et la liste des scandales dans laquelle elle est impliquée s’allonge d’année en année (GlaxoSmithKline, 2021). Notons en particulier le fait qu’elle a présenté un de ses médicaments, Avandia, comme ayant des bénéfices pour le cœur, alors que son effet était exactement le contraire. GlaxoSmithKline a été forcée de donner près d’un milliard de dollars en compensation suite à ce mensonge.

Des petits collectifs comme le Four Thieves Vinegar Collective cherchent à pallier cette privatisation de la production de médicaments. Ce collectif offre des plans pour que des personnes puissent construire elles-mêmes des bioréacteurs capables de produire des produits pharmaceutiques simples comme l’épinéphrine (mieux connue sous le nom d’EpiPen)4. Mais la production de beaucoup de médicaments et instruments médicaux demande des ressources imposantes qui ne sont pas à la portée du commun des mortels, ni même d’un collectif de moyenne envergure.

Notre système de santé actuel ne peut donc pas se passer d’une infrastructure importante.

Pour l’internationalisme de la santé

De nos jours, la recherche et la production médicales sont encore perçues comme faisant partie de la stratégie nationaliste d’un État. En 2021, c’est une approche qui ne fait plus de sens. Il s’ensuit un nombre de débalancements financiers. D’une part, des maladies fréquentes au Nord reçoivent un financement de recherche et de production immense, alors que des maladies fréquentes au Sud sont négligées. D’autre part, les médicaments trouvés se heurtent aux barrières invisibles que sont les brevets et les licences de production. Les propriétaires des brevets vendent le droit de produire à une poignée d’entreprises, qui profitent de leur quasi-monopole pour faire exploser les prix.

Or, la découverte d’un médicament permettant de soigner une maladie devrait faire partie du patrimoine mondial de l’humanité, au même titre que la « Joconde » de Léonard de Vinci, la technique de construction d’un pont suspendu ou la recette de fabrication du béton. N’y a-t-il pas une expérience qui transcende tous les êtres humains que l’expérience de la douleur ? Toute pratique, toute création ou tout instrument qui permet de diminuer cette douleur ne devrait-il pas être vu comme un bienfait pour l’ensemble de l’humanité ? Pourquoi ce bienfait est-il sous le contrôle d’une poignée d’individus fortunés ?

À ce titre, l’Organisation mondiale pour la santé (OMS)5 aurait pu être une solution. Malheureusement, l’OMS est le reflet des pays qui la financent et a démontré sa vulnérabilité par le passé envers certains pays qui menaçait ce financement. Les critiques faites à l’OMS en lien avec ses relations avec la Chine durant la pandémie de COVID-19 sont bien connues, mais l’OMS avait été critiquée bien avant la pandémie (Mazumdar, 2020), notamment sur son organisation dépendante d’États en compétition les uns contre les autres, plutôt que des populations affectées par des problèmes de santé (Fee, Cueto & Brown, 2016). Une des limitations de l’OMS est le fait que les brevets sont gérés au niveau national plutôt qu’au niveau international. Chaque pays possède ses propres lois en matière de brevets et défend les brevets de ses entreprises nationales aux dépens des besoins internationaux. Et pourtant, durant l’un des pires moment de la Guerre froide, des pays ennemis étaient prêt à travailler ensemble afin d’éradiquer certaines afflictions, notamment la poliomyélite (Cold War tensions and the polio vaccine, 2020).

L’initiative COVID-19 Vaccine Global Access (COVAX, 2021) de l’OMS est intéressante, mais est loin d’avoir atteint les résultats attendu. Les financiers de la COVAX sont essentiellement les pays du G7, et donc les seuls vaccins globalement distribués ont été des doses de l’AstraZeneca, qui est boudé par plusieurs pays du Nord. La Russie, qui ne fait pas partie du COVAX, a développé son propre vaccin Sputnik V et a commencé des distributions internationales de son côté (Sputnik V COVID-19 vaccine, 2021). Et Cuba développe aussi son propre vaccin (Rodriguez Mega, 2021), ne pouvant prendre le risque de voir les doses étrangères promises bloquées par des politiques nationales. On remarque que la distribution de vaccins semble aller vers les vieilles alliances politiques, plutôt que vers les besoins les plus criants.

Quel système de santé voulons-nous ?

Pour le gouvernement du Québec, il n’y a pas de doutes. Les gouvernements de la CAQ, du Parti libéral et du Parti québécois qui se sont succédé dans les dernières années ont démontré qu’ils veulent un système sous contrôle corporatif. Ils le nient aujourd’hui sur toutes les plateformes, mais ils ont tout privatisé par la bande, en remplaçant le financement public par l’apport de cliniques et de compagnies privées. La situation n’est guère différente au niveau fédéral, où la capacité de production a été privatisée depuis longtemps, et seule la recherche pure reste publique, soit ce qui ne rapporte rien.

Malgré les différences locales dans le fonctionnement des systèmes de santé, la santé mondiale, officiellement sous le contrôle étatique, est plutôt dirigée en fonction d’intérêts corporatifs La vente actuelle des vaccins de COVID-19 aux plus offrants devrait tout·e·s nous surprendre. Voir que les précieuses fioles de vaccins ne vont pas aux personnes qui en ont le plus besoin, mais aux États qui offrent le plus grand montant d’argent devrait tout·e·s nous inquiéter. Penser que des travailleuses et travailleurs de la santé en première ligne dans des pays du tiers monde n’auront pas de vaccins parce que toutes les doses sont accaparées par les pays riches devraient être perçu comme un problème.

Nous attendons tout·e·s nos doses de vaccin avec impatience, mais faut-il rappeler qu’il s’agit d’une pandémie mondiale ? Ce n’est pas un problème local, et il ne sera pas résolu localement (Gruda, 2021).

Le nouveau normal

À long terme, l’augmentation de la population mondiale, les changements climatiques et la multiplication des déplacements internationaux devrait multiplier des pandémies de ce genre. Il est impossible de penser trouver des solutions à ces problèmes en se limitant à un point de vue local. L’avenir du monde devra passer à travers une gestion transnationale des prochaines crises.

Le renforcement des frontières et la déresponsabilisation des pouvoirs publics aux profits de corporations ne vont pas améliorer la situation. Les enjeux de vaccination ne sont pas locaux. Nous resterons toujours exposé·e·s à une nouvelle éclosion provenant d’une région qui n’aura pas bénéficié des mêmes ressources. Tant que des millions de personnes resteront infectés par la COVID-19, des nouveaux variants émergeront pour nous menacer ici. Il y aura d’autres pandémies tant que la population augmente toujours dans des conditions de vie précaires.

Est-ce l’avenir du monde auquel nous aspirons ? Est-ce que ce sera la même chose avec lors des prochaines catastrophes, telles que la crise climatique ? Est-ce cela, le « new normal » (le nouveau normal) ? La pandémie a démontré que la santé est un enjeu international qui transcende les frontières et qui ne peut pas être sous la gouverne unique d’États égoïstes et protectionnistes.

N’en déplaise aux conspirationnistes, il nous faut effectivement un new world order (nouvel ordre mondial) international. On ne peut pas se contenter du nationalisme actuel et du corporatisme actuel en santé. Ce qu’il nous faut, c’est un new world order qui soit au service des populations, plutôt qu’au service d’une poignée de privilégié·e·s.

Références:


  1. L’innoculation consiste en la pratique permettant d’obtenir une immunité artificielle à un pathogène. Elle n’est pas limitée aux vaccins injectés : par exemple la variolation était une forme d’innoculation. ↩︎

  2. Elle a été vendu pour environ 800 M$ en 1989, ce qui revient à environ 1.52 G$ en dollars de 2021. Sanofi Pasteur rapporte plusieurs milliards de dollars par année en ce moment. ↩︎

  3. L’Institut Armand-Frappier et un centre de recherche en santé de l’Institut national de la recherche scientifique, une composante du réseau public de l’Université du Québec ↩︎

  4. Voir https://fourthievesvinegar.org/ ↩︎

  5. Aussi connue par son acronyme anglais de WHO (World Health Organization). ↩︎