Queer et pandémie : quelques outils pour faire face à un amalgame de crises

Par Mathilde Jacqueline

La crise sanitaire de 2020 s’inscrivant dans un nœud intemporel de crises sociales, politiques, environnementales et économiques, le présent article propose quelques outils théoriques et pratiques afin d’y faire face. Ces outils et divers moyens de résistance proviennent du Queer à son sens le plus vaste, qui englobe les études queers et quelques formes pratiques.

Avant de plonger dans le sujet du Queer et de la crise sanitaire, un prélude sur la notion de crise est bien utile. Dans son essai Crise et Modernité, Myriam Revault d’Allonnes explore le parcours temporel de la notion de crise et explique que le phénomène est passé d’une situation d’exception à un « état ‘normal’, ‘permanent’ » (2013). Dans les sphères médicale et judiciaire la notion de crise est historiquement utilisée afin de nommer « le moment décisif dans l’évolution d’un processus incertain qui permet le diagnostic (et donc la sortie de crise) » (d’Allonnes, 2013 : 1). Selon l’autrice, il faudrait revoir et remettre en question cette définition pour y inclure la possibilité que l’on se retrouve collectivement, perpétuellement, en état de crise.

Cette crise devenue la norme se caractérise par une multiplication d’incertitudes constantes et incessantes (d’Allonnes, 2013). Aux yeux de l’autrice, cette incertitude généralisée se décline en plusieurs pertes de repères :

Bien évidemment, le temps où nous vivons nous confronte à de nouveaux modes de dissolution de la certitude: les effets paradoxaux de la mondialisation, les développements insaisissables du capitalisme financier, l’insécurité sociale croissante, l’épuisement des modalités traditionnelles de l’action politique, la sémantique de la flexibilité qui s’étend bien au-delà de la sphère des conditions du travail… Envisagée sous l’angle de la dé-synchronisation, la confusion et la perte des repères touchent maintenant à la durée vivante des sociétés occidentales. (d’Allonnes, 2013 : 6)

La perspective temporelle alternative de Myriam Revault d’Allonnes permet de mieux saisir l’entremêlement de différentes problématiques qui constituent notre quotidien, caractérisé par des crises parfois latentes, parfois brusques.

Ce bref portrait de crises qui s’imbriquent les unes dans les autres, ou d’une crise globale qui se manifeste de diverses manières, offre une opportunité de réfléchir à des solutions et à un imaginaire de possibilités autres.

Étant une personne queer, c’est-à-dire que mon identité de genre et/ou mon orientation sexuelle ne correspondent pas aux normes sociales qui m’entourent, je m’intéresse plus particulièrement à l’idée du Queer, autant dans ses formes théoriques que pratiques, face à une crise globale. Selon une volonté de regard croisé des crises, il me semble que le Queer, en tant que champs de recherche et qu’identité politique et intime, offre des pistes de réflexion originales qui proviennent des communautés marginalisées mêmes. Le présent article met d’abord de l’avant l’émergence des études queers, pour ensuite réfléchir aux tactiques de résistance queer lors de pandémies.

Les études Queers, un survol

1. Des racines militantes et provocatrices aux théories queers

Les théories queers émergent des nombreux mouvements politiques et communautaires. En guise d’exemple, soulignons comment se sont formulées les Queer Studies et toute la mouvance universitaire qui en découle au début des années 1990, grâce à l’expression Queer theory utilisée par Teresa de Lauretis en guise de titre de colloque à Santa Cruz (Éribon, 2003 : 395).

Une critique politique réside au cœur de l’avènement des études queers, que Didier Éribon situe « en réaction à des identités ‘gay’ et ‘lesbiennes’ considérées comme figées et excluantes (et représentant surtout des individus blancs et appartenant aux classes moyennes) » (Éribon, 2003 : 394). Se voulant une provocation de la part de Teresa de Lauretis vis-à-vis les études gaies et lesbiennes homogénéisantes, les théories queers représentent une volonté de démanteler les barrières identitaires afin de permettre une diversité qui confronte toutes les normes (Éribon, 2003), dont celles des milieux d’études. Dans son livre Queer zones, Marie-Hélène Bourcier abonde en ce sens en soulignant que l’émergence des théories queers représente une « remise en question de l’identité gaie définie uniquement par le choix de l’objet sexuel et en passe de devenir hégémonique (en sous-estimant l’importance d’autres traits identitaires ou des sexualités alternatives […]). » (Bourcier, 2012 : 179)

Cette distinction épistémologique entre les études gaies et lesbiennes et les études queers met en évidence un clivage politique profond, telle qu’illustrée dans Queer zones : « La théorie queer problématise et politise non seulement le corps mais aussi – et c’est là sa forte dimension épistémologique – le savoir et la production de vérité, bref, les rapports savoir-pouvoir » (Bourcier, 2012 : 175).

2. Remise en question des systèmes hégémoniques, Queer et intersectionnalité

Ce champ d’études brise les frontières identitaires des milieux gais, lesbiens et féministes1 et comportant une dimension particulièrement politique. Tandis qu’il est possible d’aborder plusieurs éléments qui caractérise le Queer, il est à noter que ce concept ne comporte pas de définition nette, tel que le mentionne le collectif Queer Nation :

[L]a position de Queer Nation a ceci de particulier qu’elle n’est pas au sens strict identitaire – le terme « queer » (qui signifie « pédé », « gouine », mais aussi « bizarre » ou « tordu ») vise précisément à embrasser une multitude d’identités et de pratiques de soi qui trouvent leur source dans les sexualités minoritaires, mais tendent à les transcender. (Cervulle et Quemener, 2016 : 529)

Aussi, la fluidité du Queer me semble particulièrement adéquate pour une lecture analytique de crises généralisées, puisque celui-ci s’attaque aux rapports de domination selon leur sens politique et épistémologique, ainsi qu’aux relations tissées entre ces mêmes rapports de pouvoir. Par exemple, De Lauretis conceptualise le système de sexe et de genre en tant que « construction socioculturelle et un appareil sémiologique, un système de représentation qui assigne une signification (identité, valeur, prestige, position dans la filiation statut dans la hiérarchie sociale, etc.) aux individus » (2007 : 46). Plus qu’une simple critique de l’hétéronormativité, les écrits servant de pilier aux théories queers proposent de réfléchir les fondements des mécanismes sociaux, leur construction sociale et leurs impacts.

Une compréhension croisée des systèmes d’oppressions est souvent présente au sein des réflexions queers, tel qu’illustré dans l’Encyclopédie critique du genre. En effet, Queer Nation est mentionné plusieurs fois au sein de la rubrique Queer afin de souligner que ce collectif « emprunte [à ACT UP] une conception de l’action qui dépasse le strict champ de la politique sexuelle » (Cervulle et Quemener, 2016 : 530). Quelques lignes plus loin, il est mentionné l’importance de « la reconnaissance du caractère imbriqué du sexisme, de l’homophobie, du racisme, de la lutte des classes et de la domination policière » (ibid.), ce qui distingue le mouvement de Queer Nation des tendances gaies et lesbiennes. Voilà une conception du Queer qui se rattache bien à l’objectif du présent article, justifiant du même coup l’utilisation du Queer comme perspective de changement dans un contexte de crises plurielles. Les fondements politiques du Queer et son essence critique de l’imbrication des systèmes d’oppressions le rapproche ainsi de la notion d’intersectionnalité. Cette dernière provient des réflexions de Kimberlé Crenshaw, qui a théorisé pour la première fois l’interaction entre le genre la race et la classe, ainsi que « l’issue de ces interactions en termes de pouvoir » (Davis, 2015 :1).

À ce sujet, les mots de Sirma Bilge dans Developing Intersectional Solidarities: A Plea for Queer Intersectionality (2012) soulèvent bien la relation entre le Queer et l’intersectionnalité, en débutant d’ailleurs par une critique de plusieurs mouvements qui se veulent inclusifs, mais qui reproduisent de multiples oppressions. Sirma Bilge y souligne l’importance d’un « engagement radical à un dialogue critique entre les théories queers et l’intersectionnalité »2 (2012 : 22), soit une relation aussi cruciale que délicate. En d’autres mots, cette relation est possible mais jamais garantie, ces théories et mouvances militantes ayant une possibilité de se complémenter grâce à un dialogue critique et anti-oppressif (Bilge, 2012). Bilge soutient que le Queer doit être compris sans apriori identitaire, mais bien en tant que métaphore politique qui défie les normes institutionnelles, ou institutionnalisées (ibid.). L’autrice termine par la relation de réciprocité qui existe entre la volonté d’un Queer intersectionnel et d’une intersectionnalité queer (ibid.), c’est-à-dire la possibilité de deux champs de réflexion qui se complémentent et s’inter-influencent.

Enfin, ces propos me semblent être un angle d’approche adéquat afin d’aborder l’importance de renouveler l’aspect critique du mouvement queer. Une autocritique constante est d’ailleurs perceptible au sein des écrits de Judith Butler, qui rappelle notamment le fait que les dynamiques de pouvoir sont tout aussi présentes et reproduites à l’intérieur des milieux queers :

Même si on l’entend de la façon la plus englobante qui soit, le terme queer, dans ses usages, produit un ensemble de divisions qui se recoupent les unes les autres : dans certains contextes, le terme plaît à une jeune génération désireuse de résister à la politique plus institutionnalisée et réformiste parfois représentée par les termes « gay et lesbien » ; dans certains contextes, parfois les mêmes, il a marqué un mouvement à dominante blanche qui ne se préoccupait pas vraiment de la façon dont le terme « queer » joue – ou échoue à jouer – au sein des communautés non blanches (Butler, 2009 : 231).

Somme toute, ce portrait des théories queers vise à une meilleure compréhension de l’essence politique et critique de celles-ci. Un tel survol permet, par ailleurs, d’entrevoir la compréhension fondamentale du Queer concernant l’imbrication de multiples systèmes d’oppressions, incluant le capitalisme, la marginalisation du travail du sexe, le capacitisme, et même le système colonial, soit une lecture qui aspire simultanément à une prise de conscience intersectionnelle. C’est aussi selon cette perspective qu’il est possible de lire autrement les événements liés à la Covid-19.

Le Queer n’est pas né de la dernière pandémie !

3. Souvenirs et legs de la lutte contre la stigmatisation du VIH/sida

La perspective Queer s’arrime bien avec l’actualité de crise sanitaire dans la mesure où les personnes appartenant à la communauté queer ont dû faire face, depuis une quarantaine d’années, à la crise du VIH/sida. Quelques articles ont d’ailleurs fait le lien entre ces deux pandémies afin que l’on puisse apprendre de la crise du VIH/sida et s’inspirer des solutions de celle-ci pour la gestion du coronavirus. Parmi ces articles se retrouve Trois leçons de la pandémie du Sida pour répondre à la Covid-193, qui met en lumière le besoin d’anticiper les inégalités concernant la santé (« health inequalities ») (Hargreaves et al., 2020 : e310). Les auteurs et autrices de ce texte soutiennent que le VIH/sida s’est rapidement dirigé vers les personnes marginalisées, telles que les femmes, les personnes appartenant à la communauté queer ou les personnes en précarité financière (ibid.). De fil en aiguille, l’article soulève l’idée selon laquelle certaines mesures de prévention contre la Covid-19, telles que le lavage des mains très fréquent, ne sont pas aussi accessibles chez plusieurs communautés défavorisées (ibid.).

Ensuite, l’article insiste sur la responsabilité des institutions gouvernementales face à ces inégalités afin de poser des actions concrètes pour les amoindrir en s’attaquant à certaines structures. Tout comme l’urgence du VIH/sida nécessitait, par exemple, que l’on distribue des condoms dits féminins, il n’est pas suffisant de fermer les écoles et de proposer une quarantaine en 2020. Des campagnes de sensibilisation et de la distribution de désinfectant sont deux exemples d’actions nécessaires à entreprendre (Hargreaves et al., 2020 : e310), afin que différentes connaissances et pratiques de protection soient largement accessibles.

S’inspirant des moyens de lutte contre le VIH/sida qui s’ancrent dans un discours inclusif des personnes queers et des travailleur-euse-s du sexe, on doit considérer avec attention les personnes âgées, les personnes en situation de comorbidités, et les personnes aux marges de notre société (ibid.). Ceci aurait d’ailleurs l’avantage d’éviter certains impacts sociaux non désirables, tel que des éclosions massives de la Covid-19 au sein de milieux précaires, ce qui exacerberait les inégalités sociales sanitaires. Tout comme la stigmatisation sociale et judiciaire a été historiquement associée au VIH/sida, de telles pratiques pourraient décourager les individus à se mettre en quarantaine de manière volontaire dans le cas actuel (ibid.). Si la pression individuelle ou la honte prime dans le discours vis-à-vis la pandémie, les individus contractant le virus auront plus de réticence à se mettre en quarantaine ou à en avertir les proches par peur d’être étiquetés ou stigmatisés.

La dernière leçon nous provenant du VIH/sida en termes de prévention et réaction face à une pandémie se trouve dans l’idée d’un effort multidisciplinaire (Hargreaves et al., 2020 : e310). Il s’agit ici de réfléchir à des manières novatrices de créer, promouvoir et évaluer différentes façons d’intervenir face à la situation. Ceci inclut la mobilisation communautaire, la protection sociale ciblée, des soins de santé différenciés selon la situation des personnes concernées, ainsi qu’une transparence de la part des institutions gouvernementales afin d’éviter la méfiance et les présupposés populaires (ibid.).

L’ONUSIDA reconnait tout autant les liens entre les deux pandémies, tel qu’illustré au sein de leur publication Les droits humains aux temps du COVID-19 — Les leçons du VIH pour une réponse efficace, et dirigée par la communauté. Celle-ci propose d’ailleurs plusieurs leçons à retenir de la lutte contre le VIH/sida afin de faire front à la Covid-19, dont l’inclusion des communautés particulièrement touchées par la pandémie, le partage fréquent d’informations, la lutte contre la stigmatisation, ainsi que l’importance de « garantir l’accès à un dépistage gratuit ou abordable, tester et s’occuper des personnes les plus vulnérables et difficiles d’accès » (ONUSIDA, 2020 : 1).

En somme, au niveau du VIH/sida et de la Covid-19, le comportement de la population est fortement influencé par les démarches des institutions publiques de santé et a le potentiel de déterminer la trajectoire de la pandémie (Hargreaves et al., 2020 : e309). Selon les auteurs et autrices, il est possible de s’inspirer de la lutte contre le VIH/sida dans l’optique de contrer la transmission exponentielle, réduire les taux de mortalité, prévenir les prochains cas d’éclosion et supporter les communautés plus à risque (Hargreaves et al., 2020 : e311). En d’autres mots, en considérant que les communautés queers et/ou marginalisées sont particulièrement atteintes par de telles pandémies, l’actualité de 2020 permet de mettre en lumière la relation fortement politique qui existe entre le mouvement queer et les situations de crise.

4. Une mobilisation par et pour les personnes marginalisées

L’idée de support communautaire et de considération pour certaines conditions de vie plus précaires face à une pandémie résonne fortement avec les revendications du mouvement populaire ACT UP, acronyme de l’expression Aids Coalition To Unleash Power, qui milite depuis 1987 pour une reconnaissance des infections transmises sexuellement en tant que crise politique (ACT UP NY, 2020). Ayant comme slogan « Silence = Death » (Shepard, B. dans Rofes et al., 2002 : 12), plusieurs groupes ACT UP existent à travers le monde, mobilisant l’humour, la mode camp et les actions directes comme réponses à cette crise politique des ITS (Rofes et al., 2002). Leur activisme dénonçant constamment la culture du silence et de la stigmatisation a été d’une importance clé pour le mouvement queer, puisque cette situation a des impacts violents et mortels sur les communautés queers. Ceci s’est autant opéré au niveau politique qu’identitaire, tel que souligné par Benjamin Shepard en préface du livre From ACT UP to WTO :

« I protested, shared stories, watched friends die, and became queer with ACT UP. […] Fall 1993. We poured the ashes of friends’ we’d lost to the virus all over the steps in front of the California State House for my first action with ACT UP. »4 (Shepard, B. dans Rofes et al., 2002 : 12)

Tandis que je considère important de conserver la citation dans sa version originale afin de préserver son caractère intime et authentique, soulignons rapidement la portée du mouvement ACT UP à l’égard de l’identité queer de l’auteur. Plus loin au sein de la préface, les mots de Shepard s’ancrent dans la tendance plus large d’un activisme qui déplace la honte des épaules des individus touchés par les ITS et le VIH/sida sur celles des gouvernements inactifs. Cette dénonciation de l’inaction gouvernementale prend d’autant plus son sens dans le Queer Nation Manifesto, une publication considérée comme une des nombreuses pierres angulaires du Queer, soulevant notamment les liens importants entre les mouvements queers et l’amalgame des crises.

La réalité des communautés queers particulièrement affectées par le sida est bien présente au sein des textes « d’un manifeste initialement distribué par des personnes marchant aux côtés du contingent d’Act Up à la Gay Pride de New York, 1990 » (Queer Nation, 2012 : 1). Sous forme de recueil, le Queer Nation Manifesto comporte plusieurs propos qui dénoncent de manière crue les attaques homophobes auxquelles s’entremêle l’inaction gouvernementale, tant au niveau du sida que des violences vécues par les personnes queers :

En 1990 on a compté 50 agressions homophobes rien que pour le mois de Mai. Des agressions violentes. 3 720 hommes, femmes et enfants sont mortEs du sida dans ce même mois, à cause d’une attaque encore plus violente - l’inaction du gouvernement, qui prend ses racines dans l’homophobie grandissante de la société. Ceci est de l’homophobie institutionnalisée, peut-être plus dangereuse encore pour l’existence des queers parce que les agresseurs n’ont pas de visages. (Queer Nation, 2012 : 8)

Au sein de ce document, la colère est autant porteuse à l’égard de la culture hétérosexuelle violente et des agressions fréquentes que subissent les Queers qu’à l’égard du « gouvernement homophobe » (Queer Nation, 2012 : 3). Plus vastes qu’une simple critique de la gouvernance vis-à-vis le VIH/sida, ces émotions et témoignages sont une représentation d’une analyse plus large. En effet, sans nommer à proprement dit une crise généralisée ou un nœud de plusieurs crises, il est possible d’y percevoir le regard croisé de plusieurs oppressions et de plusieurs problématiques sociales et politiques. C’est pourquoi il me semble primordial de porter la réflexion comparative de la crise du VIH/sida et de la Covid-19 jusqu’aux propos du Queer Nation Manifesto, qui incarnent bien l’imbrication de plusieurs crises discriminatoires, et ce, grâce aux mots des personnes directement concernées. C’est au cœur de cette comparaison que se trouve la nuance entre les réactions communautaires induites par le VIH/sida et la Covid-19. Lorsque l’on met en perspectives les deux crises sanitaires, on observe que l’organisation populaire nécessaire face à VIH/sida a urgé les mouvements queers à développer leurs propres moyens de protection communautaire, du au désinvestissement et à l’inaction de l’état, alors que dans le contexte de la Covid-19, ces outils ont été occultés au profit d’une prise en charge étatique.

Conclusion : le Queer comme imbrication des espaces intime et politiques

En somme, se fier à l’actualité pandémique afin de présenter le militantisme queer contre la stigmatisation du VIH/sida permet, plus largement, de mettre en lumière certaines particularités des théories et pratiques queers. Incluant l’action directe, une volonté de réfléchir aux fondements mêmes des systèmes sociétaux, une constante autocritique et un dialogue véritable entre les multiples sphères militantes et politiques, les théories et pratiques queers représentent un ensemble de mécanismes bien utiles afin de collectivement et individuellement faire face aux moments de crises. Aussi offrent-elles des outils concrets afin de répondre à la crise sanitaire de la Covid-19. Il s’agit d’une valorisation de l’expertise des communautés directement concernées, d’un partage fréquent et transparent d’informations, d’une lutte contre la stigmatisation et d’une responsabilisation de l’État face aux inégalités qui accentuent les dommages de telles crises. Ces quelques exemples illustrent enfin les avantages de mobiliser le Queer pour analyser une pandémie, puisque celui-ci déploie une compréhension large, à la fois intime et politique, des problématiques entrecroisées auxquelles nous faisons face.

Références


  1. À ce sujet, le livre du Judith Butler Gender Trouble : feminism and the Subversion of Identity (1990) déploie en profondeur les normes hétérosexuelles et binaires qui s’ancrent dans les mouvements féministes de l’époque (et d’aujourd’hui). Malgré le fait que ce livre ne mentionne pas le Queer, celui-ci est aujourd’hui reconnu comme une œuvre ayant marqué l’émergence de ces théories. ↩︎

  2. Traduction libre ↩︎

  3. Traduction libre ↩︎

  4. « J’ai manifesté, partagé des histoires, regardé mes ami-e-s mourir, je suis devenu-e queer avec ACT UP. […] Automne 1993. Nous avons versé les cendres d’ami-e-s que nous avions perdu-e-s à cause du virus sur les marches devant la Maison d’État de Californie lors de ma première action avec ACT UP. » (Traduction libre) ↩︎