Pour une école à échelle humaine

Par contributeurs-euses anonymes

Il est grand temps de mettre les enfants au centre de nos luttes. Non pas pour parler du futur de manière vague comme dans lutter pour « l’avenir de nos enfants », mais bien pour parler du présent et de leurs conditions de vie actuelles.

Ça fait longtemps que le système d’éducation va mal. On parlait déjà d’une crise quand j’étais au primaire, il y a plus de 20 ans. Malgré toute la bonne foi et les sacrifices des employé·e·s de ce réseau, on dirait que ça n’a fait qu’empirer.

Je pense que j’en suis rendu à détester l’école. Ou plutôt l’école-telle-qu’elle-est-présentement : obligatoire, disciplinaire, anxiogène et sous-financée. Il me semble indéniable que cette institution sert beaucoup plus l’intérêt de notre système économique que l’intérêt des enfants ou de la société en général. Je ne crois plus que l’école travaille dans la direction d’un développement sain de la personne, ce qu’elle pourrait tout à fait faire. Elle semble plutôt chercher à adapter les enfants aux impératifs de productivité et de performance du capitalisme. C’est devenu évident pour moi en faisant de la suppléance dans plusieurs écoles de la Gaspésie et du Bas-Saint-Laurent dans les dernières années. D’ailleurs, la première chose qu’on m’a apprise, directement après mon entrevue d’embauche, c’est comment manipuler un élève qui ne voudrait pas m’obéir. Ça donnait le ton.

Dans les mois qui ont suivi, j’ai vécu le processus par lequel une personne bien intentionnée et aimant les enfants est transformée par les limites et exigences du système en une autorité irrespectueuse, punitive et amère. Cette transformation se structure autour d’une série de processus psychologiques par lesquels on finit par se convaincre qu’on punit les enfants pour leur propre bien. J’aurais aimé prendre le temps de détailler ces processus, toutefois, avec l’arrivée de la pandémie, ces réflexions ont été bousculées par des transformations plus grandes encore, à tel point qu’elles semblent déjà obsolètes.

Le niveau de détresse psychologique des directions, enseignant·e·s et autres employé·e·s scolaires s’est drastiquement aggravé dans la dernière année. Avec le démantèlement des commissions scolaires et l’application des mesures sanitaires, les directions sont considérées comme personnellement responsables de l’atteinte d’une foule de cibles plus irréalistes les unes que les autres confectionnées par des gens qui ne sont évidemment pas sur le terrain. Toute cette pression provenant du ministère affecte leur capacité à prendre de bonnes décisions et, de ce que j’ai pu observer, leur comportement est plus erratique que jamais. Elles veulent que les élèves « difficiles » soient mis en classe spécialisée, malgré toutes les conséquences sociales que ça implique face aux autres élèves et dans le rapport à sa propre identité. Elles veulent que les élèves qui ont le malheur d’avoir reçu un diagnostic de TDAH et qui dérangent le moindrement en classe soient médicamenté·e·s, même si les raisons pour lesquelles iels dérangent n’ont rien à voir avec ce diagnostic. Elles cherchent activement à introduire plus de mesures répressives, car elles ont perdu le contrôle sur leurs écoles qui ne réussissent plus à soutenir le rythme des apprentissages. Finalement, elles transfèrent beaucoup de la pression que le ministère leur impose sur les enseignant·e·s qui seront évalué·e·s sur la performance de leurs élèves. Je vous assure que cette pression brise les corps et que personne ne devrait avoir à la supporter. Dans la dernière année et demi, uniquement dans la commission scolaire des Phares dans le secteur de Rimouski, deux employé·e·s se sont enlevé·e·s la vie. Je ne sais toujours pas comment on devrait, en tant que collectivité, répondre à ces gestes.

Je vous propose un petit moment de recueillement pour ces deux personnes.


Ce qui nous mène aux élèves. Cette pression finit par leur être, en partie, transférée. Les enfants. Ces enfants qui n’ont, en dessous d’eux et elles, personne sur qui renvoyer cette pression et qui, ainsi, ne peuvent que la subir. Iels sont en captivité dans une institution aux allures dystopiques en raison des mesures sanitaires, soumis·es à l’autorité d’un corps enseignant à bout de souffle, plus irritable que jamais et on leur demande d’apprendre des tonnes d’informations. Dans ce contexte?! C’est impossible! C’est tout simplement impossible. Mais tout se déroule comme si on n’avait pas le choix. Pour apprendre, il faut avoir un lien d’attachement avec la personne qui nous enseigne. Pour plein de raisons personnelles, certains enfants n’arrivent pas à créer ce lien, surtout en ce moment. Dans notre système, on les punit pour ça. C’est dans ce contexte que, parfois, des enfants font des crises, imaginez-vous donc. Iels pleurent, crient, explosent. Mais on n’a pas le temps pour ça et les professeur·e·s ne sont pas équipé·e·s pour ça, et donc leurs crises sont réprimées le plus rapidement possible.

On n’a pas le temps pour que ces enfants vivent des émotions et c’est probablement cet élément qui, à travers tous les bouleversements du système d’éducation, aura le plus d’impact à long terme sur notre société. Ces enfants sont en train d’apprendre d’horribles leçons. Iels apprennent à se taire, à refouler et à résoudre des dissonances cognitives par des mensonges. Iels apprennent qu’iels ne sont pas capables, pas assez. Iels apprennent que vivre des émotions est un poids, un problème à résoudre, un obstacle qui ralentit tout le monde et que ça leur fait perdre de la valeur aux yeux des autres. Iels apprennent un conformisme qui éteint, méthodiquement, durant des années, leur créativité.

Je voudrais que ça cesse, je voudrais une lutte pour les enfants, ici et maintenant. La première étape est de les écouter, de les croire quand iels disent que c’est insupportable et, dans la mesure de nos moyens, de les appuyer, matériellement, émotionnellement, logistiquement quand iels seront prêt·e·s à lutter pour que tout cela cesse.

On n’a pas le temps pour que ces enfants vivent des émotions. Ces enfants sont en train d’apprendre d’horribles leçons. Il nous faut une lutte pour les enfants, ici et maintenant.